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Microagressions au travail : comment répondre sans s’excuser ? Podcast avec Michèle Ruffault

Micro-agressions au travail, remarques “pour rire”, interruptions en réunion, blagues sexistes, idées qu’on vous pique…
À force, ça use. Et bien souvent, on a l’impression qu’il n’existe que deux options : se taire ou exploser.

Dans mon travail autour de la reconversion, une question revient souvent :
« Si je change de boîte, est-ce que je ne vais pas revivre la même chose ailleurs ? »

Cet épisode explore une troisième voie, encore trop peu connue : la répartie stratégique, inspirée de l’approche systémique de Palo Alto.
Sans renverser les responsabilités — le harcèlement et les violences verbales ne sont jamais la faute de celles et ceux qui les subissent — mais avec un objectif clair : reprendre la main quand ces situations existent quand même.

Pour en parler, j’ai invité Michèle Ruffault, coach et fondatrice de Muscle ta répartie. Après près de 20 ans en entreprise et une formation à l’approche Palo Alto, elle adapte au monde du travail des stratégies concrètes pour sortir de la sidération, casser les scénarios répétitifs et s’affirmer sans s’excuser d’exister.

Vous trouverez ici un résumé de nos échanges, à prolonger dans l’épisode complet du podcast.

Ecoutez le podcast de témoignage de Michèle, formatrice en répartie au travail !

De consultante en organisation à coach en répartie

Pour commencer, comment décrirais-tu, expliquerais-tu ton métier ?

J’appelle ça coach en répartie.

Concrètement, j’anime des ateliers et des formations pour aider les gens à réagir face aux microagressions et aux situations qui les saoulent au travail :

blagues lourdes, remarques sexistes, interruptions en réunion, clients agressifs…

J’ai aujourd’hui une sorte de bootcamp de la répartie : on travaille sur des situations réelles, parfois très anciennes, et on construit des réponses possibles. On s’entraîne. Et pour certaines personnes, c’est vraiment une forme de “guérison” : elles reprennent le pouvoir sur une situation où elles se sont senties rabaissées pendant des années.

Ce n’était pas exactement le métier que la conseillère d’orientation te proposait au lycée… Comment tu en es arrivée là ?

Clairement, personne ne m’a dit “Tu pourrais être coach en répartie”

J’ai commencé comme consultante en organisation, sur l’optimisation des process, l’amélioration continue, le lean management. Pendant longtemps, mon but, c’était : que tout aille plus vite et plus efficacement.

Jusqu’au jour où j’ai réalisé qu’avec cette approche, je “broyais les gens”.
Derrière les process, il y a des humains, des émotions, des histoires. J’ai découvert ensuite l’agilité, des méthodes plus humaines, et petit à petit, j’ai commencé à voir aussi tout ce qui se passait dans les relations : les remarques, les humiliations “gentilles”, les jeux de pouvoir…

Et là, j’ai fait le bingo complet : sexisme, remarques déplacées, situations d’agression ou de harcèlement sexuel… mais sans les nommer.
Je me sentais mal à l’aise, coupable, je me disais que c’était “de ma faute” si ça m’arrivait.

Et le déclic vers la répartie, ça s’est fait comment ?

Il y a deux ans, j’ai commencé à repenser à tout ça.
Je me suis demandée : “Si je pouvais retourner dans ces scènes, qu’est-ce que j’aimerais répondre ?”
Bon, mauvaise nouvelle : Retour vers le futur n’existe pas.
Donc je ne pouvais pas retourner dans mon open-space de 2012.

J’en ai parlé autour de moi, surtout à des femmes, et je me suis rendu compte que tout le monde avait “LA” scène qui revient en boucle, 8 ans après, 10 ans après.

Et puis il y a eu les autres “ismes” : racisme, homophobie, âgisme…
Des femmes m’ont dit :
– “Moi, c’est plutôt des remarques racistes.”
– “Moi, c’est mon orientation sexuelle.”
– “Moi, c’est mon âge.”

Je me suis rendu compte qu’il y avait une masse énorme de souffrance relationnelle, et très peu d’outils concrets pour répondre.
C’est là qu’est né Muscle ta répartie.

Pourquoi une “petite phrase” peut vous hanter pendant des années

les petites phrases de bureau qui tuent comment survivre

Je te disais qu’une des peurs en accompagnement peut être de se dire : j’ai trouvé le bon poste, le bon métier mais …  “Des cons, il y en aura partout” ! L’approche Palo Alto et de ce que propose Emmanuelle Piquet permet de répondre à cette peur peux-tu expliquer comment.

Oui tout à fait, Emmanuelle Piquet est particulièrement connue sur le harcèlement scolaire, elle a une idée très forte : arrêter de se concentrer uniquement sur le harceleur, pour équiper aussi l’enfant harcelé.

Dans beaucoup de dispositifs, on fait une séance pour dire au harceleur :

“C’est pas gentil d’être méchant.”
On voit bien que l’efficacité est… limitée.

Emmanuelle Piquet, elle, reçoit les enfants harcelés et elle les aide à construire une “flèche” : une phrase, un geste, une attitude, préparés en amont, répétés, testés.

Avant, ils étaient en mode :

“Pourvu qu’on ne me voie pas, pourvu qu’il ne dise rien.”

Après le travail, c’est plutôt (en caricaturant un peu !)

“Viens. Viens avec ta phrase, je t’attends.”

Parfois, ils n’ont même pas besoin de dire leur flèche : leur “posture”, ler attitude a changé, et le harceleur ne prend plus autant de plaisir.

Je me suis dit : “Ce qu’elle fait dans la cour de récré, on peut l’adapter au bureau.”
Muscle ta répartie, c’est exactement ça, version open space, réunion Teams et machine à café.

Comme grande “fan” des travaux d’Emmanuelle Piquet, je suis ravie de voir effectivement ce travail des flèches verbales arriver dans le monde de l’entreprise.

L’idée est bien de se dire qu’on peut avoir des “harceleurs” partout et qu’il est important de s’équiper pour sortir des réactions de stupéfaction ou de repli.

Oui, parce que face aux “petites phrases” au bureau on peut avoir :

  • sidération sur le moment : “Il a vraiment dit ça ?”

  • rumination après coup : “J’aurais dû dire ça… pourquoi j’ai rien dit ?”

  • parfois explosion tardive, quand c’est la fois de trop… et qu’on regrette la manière dont on a réagi.

Tout ça use la confiance, le plaisir de travailler, l’estime de soi. Et le problème, c’est que tant qu’on ne change pas nos réflexes, on risque de retrouver les mêmes scénarios ailleurs.

4 stratégies de répartie pour ne plus rester sans voix au travail

+ 1 bonus spécial Noël !

infographie repondre aux microagressions au travail

La communication non violente

 

Je te disais que je trouve plus intéressante l’approche Palo Alto que la CNV qui est parfois trop figée pour moi, quel est ton avis sur ce sujet ?  

La Communication Non Violente a été mon premier pas dans le monde de la relation.
J’ai lu Les mots sont des fenêtres, fait plusieurs modules de formation, ça m’a énormément aidée pour mieux écouter l’autre, notamment dans des relations où les deux personnes ont envie que ça se passe bien.

Mais en cabinet, beaucoup de thérapeutes systémiques voient arriver des gens qui disent :

“J’ai bien essayé observation / sentiment / besoin / demande… ça n’a absolument pas marché.”

Parce qu’en face, il y a parfois des personnes qui :

  • n’en ont rien à faire de votre ressenti,

  • ou qui prennent plaisir à se moquer de vous.

Dire à un harceleur scolaire ou à un collègue qui vous rabaisse tous les jours :

“Quand tu te moques de mon pull, je me sens triste et j’ai besoin de reconnaissance…”
c’est lui offrir exactement ce qu’il cherche : la confirmation qu’il vous atteint.

 

Donc la CNV n’est pas “nulle”, mais pas adaptée à tous les contextes.  

Exactement, elle peut être super utile avec :

  • un ami,

  • un conjoint,

  • un collègue avec qui la relation compte vraiment.

Mais avec quelqu’un qui cherche le plaisir de vous écraser, il faut d’autres stratégies.

La stratégie du questionnement : “C’est-à-dire ?”

 

On a pris un exemple très concret : une manager qui me dit “il faut que tu laisses tes équipes se vautrer comme des merdes chez les clients”.

Sur le moment, je suis restée bloquée. Qu’est-ce que tu proposerais, toi, dans ce type de situation ?

Avec un manager, on est souvent plus prudents (et c’est normal).

Une stratégie douce, mais très puissante, c’est le questionnement ingénu :

  • “Concrètement, comment tu vois les choses ?”

  • “Donc si je comprends bien, tu préfères qu’ils y aillent seuls voir les clients, même les gros clients stratégiques ?”

  • “Et si ça se passe mal, qu’est-ce qu’on fait derrière ?”

Et aussi une petite phrase que j’adore :

“S’écrouler comme des merdes… c’est-à-dire ?”

Rien que le fait de renvoyer sa formulation peut déjà créer un malaise… mais cette fois chez la personne qui l’a prononcée.
Ça l’oblige à entendre ce qu’elle vient de dire, à l’expliciter, parfois à le nuancer.

L’idée n’est pas forcément de lui démontrer qu’elle a tort, mais de mettre de la lumière sur ce qui était balancé “en passant”.

La prescription de symptômes : “J’ai hâte de savoir ce que tu vas me dire aujourd’hui”

Tu donnes aussi des exemples de cette femme harcelée tous les jours dans une usine.

Oui, c’est une histoire dure. Tous les jours, un collègue lui criait quelque chose de sexuel en entrant dans l’atelier. Jusqu’au jour où il lui a lancé, devant tout le monde une phrase extrêmement vulgaire.

Elle est allée voir la DRH, qui lui a répondu en gros :

“C’est Roger, on le changera pas. Il part à la retraite dans un an.”

Ce qui revient à : “Tu vas continuer à subir ça, et on ne fera rien.”

On est typiquement dans l’illégalité (l’employeur a une obligation de protection, il serait possible d’aller plus loin sur ce thème), mais en attendant, elle devait retourner travailler le lendemain.

Avec le groupe, on a travaillé en prescription de symptômes :
plutôt que d’éviter Roger en espérant qu’il ne dise rien,
elle allait le voir pour lui dire : “J’ai hâte de savoir ce que tu vas me dire aujourd’hui.”

Et si jamais il sortait quand même une horreur, elle pouvait rajouter :

“Franchement, c’était mieux hier, je suis un peu déçue.”

On lui enlève le plaisir de la surprise, on le met en commande, on retourne le projecteur.

Est-ce que ça marche à tous les coups ? Non.
Est-ce que ça redonne du pouvoir, de la dignité, une posture active à la personne ? Très souvent, oui.

 

Les témoins silencieux… et ceux qu’on peut réveiller

 

On observe aussi un phénomène important : les témoins voient, mais ne disent rien. 

Oui. Il y a une étude que j’aime bien citer : sur 10 témoins d’une scène sexiste ou discriminante en entreprise, 9 sont choqués… mais 1 seul parle.

Le problème, c’est que pour la personne ciblée, le message qu’elle reçoit, c’est :

“Personne ne trouve ça choquant, donc c’est peut-être moi qui exagère.”

Et parfois, des années plus tard, quand elle en parle à ses ex-collègues, tout le monde lui répond : “Ah oui, on était choqués !”
Sauf que sur le moment… personne n’a rien laissé paraître.

C’est pour ça que je forme à la fois les personnes ciblées ET les témoins.
Pour un témoin, surtout s’il n’est pas dans l’émotion, c’est souvent plus facile d’intervenir.

Dans l’histoire de l’usine, il y avait aussi un public : des collègues qui entendaient tout, voyaient qu’elle était mal, et qui ne disaient rien.

C’est là où certaines réparties peuvent aussi faire réagir le groupe :

  • un pouffement de rire,

  • un silence gêné,

  • un regard…

Tout ce qui vient casser le plaisir du harceleur et montrer que non, ce n’est pas “drôle” ni “normal”.

Et puis il y a… Noël 🎄

 

On ne pouvait pas finir sans parler des repas de famille, version “Muscle ta répartie”.

À Noël, on retrouve exactement les mêmes mécanismes : “Toujours célibataire ?”, “Tu as grossi, non ?”, “Alors, ta petite boîte, ça marche ?” Tu proposes quoi pour survivre à ça sans tuer quelqu’un avec la dinde ? 

Déjà : préparer.
Si vous savez que la question va tomber (“toujours célibataire ?”, “toujours en CDD ?”, “tu ne veux toujours pas faire un “vrai” métier ?”), autant ne pas attendre d’être en PLS devant la bûche pour improviser.

Vous pouvez :

J’aime bien aussi l’idée de prendre la main dès le début du repas, façon mini stand-up :

“Bon, je vous fais gagner du temps :
– je suis toujours célibataire,
– je n’ai pas perdu 10 kilos,
– ma petite boîte n’est pas encore devenue LVMH.
Voilà, maintenant on peut parler d’autre chose ?”

On choisit d’afficher plutôt que de subir, de prendre l’initiative au lieu d’attendre la pique.

Pour aller plus loin : 

Je remercie Michèle pour cet échange plein de bonne humeur et de conseils pour reprendre la main, ce qui est mon mantra dans la vie !

Pour finir :

  • certaines personnes ne changeront jamais, même avec la meilleure répartie du monde ;

  • certains environnements sont tellement toxiques qu’il faut partir.

Mais entre “tout encaisser en silence” et “tout quitter en vrac”, il existe un espace où :

  • vous pouvez préparer vos réponses ;

  • vous pouvez apprendre à questionner, reformuler, renvoyer le projecteur ;

  • vous pouvez jouer avec la prescription de symptômes, le compliment ironique, le “c’est-à-dire ?” ;

  • vous pouvez passer de “proie idéale” à “personne moins évidente à cibler”.

Si vous avez envie de muscler votre répartie, vous pouvez retrouver Michèle ici :

 Si ça vous donne aussi la force de changer de voie, l’envie d’y croire, vous pouvez commencer par le guide pour mieux vous connaître :

👉 Télécharger le guide “Les 3 curseurs”

  

Et si vous souhaitez un accompagnement pour faire le point et définir votre plan d’action, découvrez le programme TROUVER SA VOIE, la Grande Aventure ! (CPF possible) 

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